« Tentons d’avoir une connaissance “de l’Univers à peu près”, car c’est lui laisser ainsi toute latitude de nous surprendre encore. Il est urgent de former les générations futures à l’approximation. De vagues cours magistraux seront donnés par des professeurs traversés de doutes lumineux, merveilleusement hésitants.
Les étudiants auront tous le diplôme (à peu près), et la mention “connaissances approximatives” sera la plus recherchée. Le XXe siècle a vu les effets du rationalisme poussé à l’extrême : taylorisme, Shoah, économie libérale, rigueur financière. Le XXIe sera approximatif ou ne sera pas. En gros. »
Au fil de ces 100 chroniques sur des sujets aussi graves que les tongs, le pique-nique, les testicules, le gaz de chips ou les miroirs déformants, Didier Tronchet se plaît à déloger nos certitudes les plus endurcies et ne recule devant aucun raccourci saisissant pour redonner à l’Univers tout son sens : celui de l’humour.
Format : broché (13,5 x 22 cm)
Editeur : Les Echappés
ISBN : 978-2-35766-122-6
Nombre de pages : 144
– EXTRAITS –
Dinosaure
On a évoqué quantité de raisons pour expliquer la disparition des dinosaures de la surface de la Terre. On a même été chercher l’hypothèse d’une collision avec une comète. Alors que l’observation d’un dinosaure nous en donne l’explication, dans toute sa simplicité.
Prenons au hasard le tyrannosaure rex. Avec ses grands pieds, ses petites pattes avant et ses mâchoires démesurées. Observons ce grain de peau verdâtre, bulbeux et tuméfié. L’évidence qui s’impose est celle‐ci : il est MOCHE ! Qui pourrait le contester, sinon quelque scientifique buté ? Dès lors, comment prétendre inspirer le désir à madame, avec cette dégaine de bric et de broc organique ? (Je n’aborde même pas la question du caractère, le tyrannosaure se révélant quelque peu soupe au lait).
Mais le pire est que madame n’a pas plus d’arguments pour enflammer la libido. Ce qui, de notre point de vue, est presque plus grave, car, de tout temps, la gent féminine est réputée pour faire un effort, tâcher de se rendre un tant soit peu affriolante. Pardon de le dire, là c’est zéro. Il ne s’agit pas d’imaginer du Rimmel autour des yeux de ces sauriens, des dessous chics, porte‐jarretelles, dentelles et falbalas ou je ne sais quoi, nous envisageons la question dans une optique purement scientifique – cet exercice nous est d’ailleurs fort pénible. Il s’agit de demander au moins l’effort d’une pose suggestive, d’un regard de braise qui puisse érotiser la situation entre les deux jouvenceaux (oh ! que ce mot leur convient peu !).
Voici comment monsieur et madame tyrannosaure rex dorment le plus souvent à « l’hôtel du cul tourné », espacent de plus en plus leurs rapports sous les prétextes les plus divers (mais personne n’est dupe), jusqu’à, un beau jour, l’extinction de la race. Qui finalement, avouons‐le, est un soulagement pour tout le monde. Eux compris, si ça se trouve.
Glace
Les glaces du pôle racontent l’histoire de la Terre. En les sondant très profondément, on peut connaître les événements qui ont marqué la planète : les grandes mutations, les catastrophes écologiques, l’évolution du climat, etc. On peut même y déceler la trace des grands conflits mondiaux.
À une échelle plus modeste, les glaces dans le congélateur racontent l’historique de l’appartement. Notamment celle à la vanille, avec des noix de macadamia. En la sondant à la petite cuillère, on peut y déceler les prémices d’un grand conflit avec les colocataires, car il en manque déjà la moitié, alors qu’on l’a achetée la veille.
Orteil
La nature est impitoyable. Ce qui ne trouve pas sa fonction, à longue échéance, finit par disparaître. C’est ainsi que le corps humain a perdu ses nageoires, tombées en désuétude. Sans doute l’évolution naturelle n’en a‐t‐elle pas terminé avec nous. À bien observer le corps humain, il me semble que le prochain candidat à l’éradication est le petit orteil.
Dans le monde moderne, sans vouloir être dés‐ obligeant, le petit orteil n’a plus de fonction nette et affichée. De réelle légitimité. Les amputés du petit doigt de pied se portent comme un charme et souffrent assez peu de cette absence. Ils ont fini par l’oublier. Comme finira par l’oublier notre mère nature, qui ne s’embarrasse pas de l’inutile. Quatre orteils bien répartis feront l’affaire. Les générations futures, ainsi délestées, riront même de cet attribut surnuméraire dont nous sommes encore affublés.
Il ne faudra pas s’étonner si la nature enquille avec le petit doigt de la main. Pompeusement nommé « auriculaire », en raison de sa présumée compétence pour ramoner le conduit de l’oreille. Au XXIe siècle, qui fait encore ce geste ? Le Coton‐Tige, merveilleux progrès technologique et prophylactique, a de nos jours avantageusement remplacé cet outil organique sommaire, incapable d’une exploration fine du conduit auditif. Donc, exit l’auriculaire. Il n’y aura guère que les pianistes pour le regretter, mais à l’heure où la musique se compose sur des logiciels, la perte paraît dérisoire. Quant aux guitaristes, je leur rappellerai que Django Reinhardt, formidable précurseur, jouait avec trois doigts.
Par ailleurs, depuis la calculette, on ne compte plus sur les doigts de la main. Un bon gros index suffit. Enfin, s’il fallait une preuve supplémentaire, notons que les ravisseurs menacent toujours de cou‐ per le petit doigt si l’on ne paye pas la rançon. Ils ne prennent pas trop de risques et démarrent l’intimidation modestement. On ne commence généralement à s’émouvoir que lorsque la famille reçoit un nouveau colis par la poste et qu’on est passé au doigt suivant.
Walt Disney, qui a souvent été visionnaire, dessinait déjà Mickey et consorts avec un gant blanc à quatre doigts. À ce titre, je trouve assez humiliant que l’homme ait été devancé sur la voie de l’évolution par une bande de souris à grosses chaussures, de grands chiens idiots avec le museau de travers et de canards en costume marin.
Tigre
Les tigres n’existent pas. C’est un ensemble de taches pour un test de Rorschach, que notre imaginaire a interprété comme représentant un fauve dangereux. La puissance de l’esprit humain est telle que certains d’entre nous se font régulièrement dévorer par le fruit de leur imagination.